QUÉBEC, le 5 août 2024 /CNW/ - Après examen du rapport produit par le Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) conclut que l'analyse de la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers du Service de police du Nunavik (SPN) et de la Sûreté du Québec (SQ).

L'analyse portait sur l'événement survenu à Kuujjuarapik le 12 avril 2023 entourant des convulsions subies par une femme.  

L'examen du rapport d'enquête préparé par le BEI a été confié à une procureure aux poursuites criminelles et pénales (procureure). Cette dernière a procédé à un examen complet de la preuve afin d'évaluer si à la lumière de la preuve retenue, celle‑ci révèle la commission d'infractions criminelles. La procureure a rencontré et informé la personne blessée des motifs de la décision.

Événement

Le 12 avril 2023, à 0 h 06, un policier du SPN - assisté de deux policiers respectivement de la SQ et du Service de police Eeyou Eenou - procède à l'arrestation d'une femme qui est dehors, couchée au milieu de la rue et qui semble intoxiquée. Celle-ci est en bris de conditions, car elle est assignée à résidence 24 h sur 24 h et doit s'abstenir de consommer de l'alcool.

À 0 h 08, les policiers et la femme arrivent au poste de police du SPN. La femme est placée dans une cellule. Quatre policiers retirent les bottes, le manteau et le pantalon d'hiver de la femme qui n'offre pas de collaboration. Une policière procède à la fouille de la femme.

À 0 h 12, la femme est laissée seule dans la cellule. Elle dort toute la nuit sur un matelas placé à sa disposition.

Pendant l'ensemble de la période d'incarcération de la femme, un agent de sécurité ou un policier sont attitrés en alternance à la surveillance des détenus. La surveillance est effectuée à partir d'un poste de travail situé à quelques mètres du bloc cellulaire, à l'aide d'un écran qui projette simultanément les images des différentes caméras vidéo placées dans les cellules.

Vers 8 h, la femme se réveille. De manière générale, la femme est agitée. Elle fait les cent pas dans la cellule, s'assoit ou se couche brièvement pour se relever aussitôt, cogne sur la porte et sur la fenêtre de la cellule, enlève et remet son chandail. La femme va également mettre du papier de toilette mouillé sur le plafond près de la caméra. Par moment, elle semble paniquer, pleurer et avoir de la difficulté à respirer.

À quelques reprises au cours de la matinée, des policiers de la SQ et du SPN discutent avec la femme. Cette dernière les avise qu'elle fait une crise de panique et qu'elle veut de l'Ativan. Les policiers l'invitent à se calmer. La femme ne présente aucune blessure, ne se plaint pas de douleur, est en mesure de parler normalement et comprend les raisons pour lesquelles elle est incarcérée. Hormis ses demandes d'obtenir un médicament pour gérer son niveau de stress, les policiers ne constatent aucun signe indiquant que la femme a besoin d'une attention médicale particulière. La femme semble se calmer lorsqu'elle leur parle.

Pour les policiers, l'état de la femme n'est pas anormal. Lors de détentions précédentes, celle-ci présentait un état d'agitation similaire et faisait des demandes répétées pour obtenir de l'Ativan.

Entre 10 h et 12 h, les policiers donnent à la femme de l'eau et, à sa demande, une serviette hygiénique, une liste de contacts d'avocats et un téléphone.

Vers 12 h, après avoir discuté par téléphone avec un avocat, la femme contacte une clinique médicale et parle à une infirmière pour obtenir de l'Ativan. Peu après, l'infirmière appelle le poste de police et informe un policier qu'elle va préparer une prescription d'Ativan pour la femme. Ils conviennent que le médicament sera récupéré après l'heure du dîner.

Vers 12 h 10, une policière de la SQ - attirée à la surveillance des détenus durant l'après-midi - se présente à la cellule de la femme. Celle-ci est en train de parler à son avocat au téléphone. La femme demande à la policière de se joindre à la discussion téléphonique tenue sur mains libres. La femme est agitée, s'exprime fort, pleure et réclame de l'Ativan. La policière avise l'avocat et la femme qu'elle donnera le médicament à la femme dès qu'elle l'obtiendra, vers 13 h 30.

Vers 12 h 15, la policière retourne voir la femme et reprend le téléphone. À ce moment, la policière discute à nouveau avec elle. La femme réitère sa demande d'obtenir de l'Ativan et la policière lui rappelle qu'elle lui donnera le médicament dès qu'elle l'obtiendra en début d'après-midi. La femme respire rapidement, tremble et dit faire une crise de panique. La policière fait des exercices de respiration avec elle. Cette dernière semble désormais plus calme.

De retour au poste de travail, la policière observe les images des caméras de surveillance et constate que la femme bouge beaucoup : elle marche, s'assoit, se couche, se relève, boit de l'eau, se mouille les cheveux et va plusieurs fois aux toilettes.

Vers 12 h 45, la policière retourne voir la femme. Celle-ci est agitée, respire rapidement, tremble et réclame encore de l'Ativan. La policière fait à nouveau des exercices de respiration avec elle. La femme se calme et mentionne avoir faim.

Vers 13 h, la policière apporte un repas à la femme. À ce moment, cette dernière est nue. Interrogée par la policière sur les raisons pour lesquelles elle s'est dévêtue, la femme indique qu'elle voulait attirer son attention. La policière demande à la femme de s'habiller et quitte le bloc cellulaire. Une dizaine de minutes plus tard, la femme s'allonge sur le matelas de la cellule.

Par la suite, entre 13 h 15 et 14 h 30, la policière constate - lorsqu'elle observe les images des caméras de surveillance du bloc cellulaire - que la femme semble dormir. La policière remarque que la femme est couchée, respire et change de position. La policière déclare qu'elle regarde régulièrement, approximativement à chaque deux ou trois minutes, les images des caméras de surveillance du bloc cellulaire. Elle explique qu'elle reste à côté de l'écran qui diffuse ces images, sauf lorsqu'elle répond aux demandes des personnes détenues, par exemple pour leur préparer un repas. La policière affirme qu'elle ne constate à aucun moment que la femme souffre de convulsions ou de spasmes.

De même, un autre policier déclare que vers 13 h 30, alors qu'il s'apprête à aller chercher l'Ativan à la clinique médicale, il observe les images des caméras de surveillance et remarque que la femme est couchée et semble calme.  

Néanmoins, le visionnement des vidéos des caméras de surveillance révèle que vers 13 h 20, la femme, couchée sur le matelas, subit des spasmes musculaires au niveau des bras et des jambes pendant près de cinq secondes. Dans les deux minutes qui suivent, les membres inférieurs et supérieurs de la femme se raidissent à nouveau pendant quelques secondes, puis elle vomit un liquide blanchâtre et translucide.

Ensuite, la femme demeure étendue sur le matelas. Elle semble dormir : elle respire, change de position et replace la couverture.

Vers 14 h, pendant un intervalle de près de deux minutes, la femme subit trois autres épisodes de spasmes musculaires au niveau des bras et des jambes qui durent quelques secondes chacun. Très peu de temps après, la femme, qui est toujours allongée sur le matelas, régurgite un liquide foncé qui coule sur sa joue pendant près d'une minute.

Par la suite, la femme demeure étendue sur le matelas et semble, encore une fois, dormir : elle respire et change de position par moments.

Vers 14 h 30, la femme a de nouveau des spasmes musculaires au niveau de la bouche, des bras et des jambes qui durent moins d'une minute. Ensuite, elle vomit une substance foncée pendant environ une minute. La femme demeure couchée sur le matelas et le liquide foncé est visible autour de sa bouche.

Près de trois minutes plus tard, un policier entre dans le bloc cellulaire pour aller voir une autre personne qui y est détenue et entend un bruit étrange en provenance de la cellule de la femme. Il s'y dirige et constate l'état de la femme : elle est couchée, a des sécrétions rouges à proximité du nez et de la bouche et a une respiration bruyante.

Le policier demande à la policière responsable de la surveillance des détenus d'apporter la clé de la cellule. Ils y pénètrent immédiatement, placent la femme en position latérale de sécurité et appellent les services d'urgence. Les policiers constatent que la femme est chaude, transpire beaucoup, tremble un peu et est raide. Ils évaluent son état de conscience : elle réagit aux points de pression, semble semi-consciente et est capable de les voir. Quelques minutes plus tard, le policier responsable d'aller chercher l'Ativan de la femme revient au poste de police et vient en soutien à ses collègues pour aider la femme.

Vers 14 h 50, les premiers répondants arrivent et prennent en charge la femme.

Dans les jours suivants, la femme est traitée pour une rhabdomyolyse dans un établissement médical.

Interrogée, la femme n'entretient aucun souvenir de son incarcération et des événements qui y sont survenus.

Analyse du DPCP

Le paragraphe 215(1) C.cr. crée des obligations destinées à la protection des individus vulnérables qui sont sous les soins, le contrôle ou la garde d'autrui. Plus précisément, l'alinéa 215(1)(c) C.cr. impose aux policiers de protéger les personnes qui sont sous leur garde en leur fournissant les « choses nécessaires à l'existence ».

Commet une infraction quiconque étant soumis à une obligation légale au sens du paragraphe 215(1)(c) C.cr., omet, sans excuse légitime, d'accomplir cette obligation, et si l'omission d'exécuter l'obligation met en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de celle-ci.

La jurisprudence a défini l'expression comme signifiant les choses nécessaires pour protéger la santé et la sécurité des personnes contre le préjudice ou le risque de préjudice, lequel doit être raisonnablement prévisible et de nature plus que mineur ou transitoire. À titre d'exemple, les soins médicaux qui sont nécessaires pour protéger la santé ou la sécurité d'une personne détenue (arrestation, transport, cellule) contre un préjudice ou un risque de préjudice.

Ainsi, la preuve de cette infraction dans un contexte de détention policière requiert que la poursuite démontre hors de tout doute raisonnable chacun des éléments suivants :

  1. Le policier était soumis à l'obligation légale de fournir les choses nécessaires à l'existence de la personne pendant qu'elle était sous sa garde;
  2. Le policier n'a pas fourni les choses nécessaires à l'existence;
  3. Le manquement à l'obligation de fournir les choses nécessaires à l'existence a mis en danger la vie de la personne ou est de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne;
  4. La conduite du policier a représenté un écart marqué par rapport au comportement d'un policier raisonnable dans des circonstances où il était objectivement prévisible que le fait de ne pas fournir de soins médicaux à la personne mettait sa vie en danger ou était de nature à causer un tort permanent à la santé de cette personne.

Le caractère raisonnable de la conduite de l'accusé s'apprécie en fonction de sa situation, des circonstances particulières et selon une norme objective, c'est-à-dire une norme de la société.

La preuve au dossier d'enquête ne permet pas de conclure que les policiers impliqués ont omis de fournir des choses nécessaires à l'existence d'une personne à leur charge.

En effet, le préjudice n'était pas raisonnablement prévisible et les policiers n'ont pas fait preuve d'un écart marqué par rapport à ce qu'un policier raisonnablement prudent aurait fait dans les mêmes circonstances.

Malgré une surveillance régulière du bloc cellulaire, les policiers n'ont pas eu connaissance de la dégradation de l'état de santé de la femme survenue entre 13 h 15 et 14 h 30. En effet, les épisodes convulsifs de la femme variant de quelques secondes à quelques minutes n'ont pas été aperçus par la policière qui observait les images des caméras de surveillance à intervalles rapprochées. Vers 14 h 30, lorsque les policiers ont constaté l'état de santé inquiétant de la femme, ils ont réagi promptement pour lui porter secours et pour qu'elle obtienne des soins médicaux d'urgence. 

Par ailleurs, les symptômes observés en matinée par les policiers chez la femme, soit agitation, pleurs, respiration rapide et tremblements, pouvaient raisonnablement être associés à une crise de panique de laquelle la femme disait souffrir. Les policiers ont agi raisonnablement dans cette perspective en lui proposant des exercices de relaxation et en acceptant d'effectuer des démarches pour obtenir de l'Ativan. Rien ne permettait aux policiers de croire que la femme souffrait d'un autre problème de santé qui engendrait des épisodes de convulsions et qui requérait des soins médicaux particuliers.  

Conséquemment, à la suite de son analyse, le DPCP est d'avis que la preuve ne révèle pas la commission d'une infraction criminelle par les policiers de la SQ et du SPN impliqués dans cet événement.

Le Directeur des poursuites criminelles et pénales

Le DPCP fournit, au nom de l'État, un service de poursuites criminelles et pénales indépendant  de toute considération de nature politique, et ce, de façon à préserver l'intégrité du processus judiciaire tout en assurant la protection de la société, dans la recherche de l'intérêt de la justice et de l'intérêt public, de même que dans le respect de la règle de droit et des intérêts légitimes des personnes victimes et des témoins.

Chaque dossier soumis au DPCP est analysé avec rigueur et impartialité. La norme qui guide les procureurs concernant l'opportunité d'entreprendre une poursuite est prévue à la directive ACC-3. En droit criminel, le fardeau de la preuve que doit satisfaire la poursuite est très exigeant. En raison du principe de la présomption d'innocence, la poursuite doit en effet faire une démonstration hors de tout doute raisonnable de la culpabilité de l'accusé devant le tribunal.

La décision de poursuivre ou non est une décision discrétionnaire prise par le procureur dans l'exécution de ses obligations professionnelles sans crainte d'ingérence judiciaire ou politique et sans céder à la pression médiatique. Par ailleurs, ce n'est pas la tâche du procureur de se prononcer sur une possible faute civile ou déontologique. Il ne cherche que les éléments lui permettant de conclure qu'un acte criminel a été commis et de déterminer s'il peut raisonnablement en faire la preuve. Il ne lui appartient pas non plus de formuler des commentaires ou des recommandations concernant les méthodes d'intervention policière.

La publication des motifs qui étayent la décision de ne pas porter d'accusation dans certains dossiers revêt un caractère exceptionnel et s'appuie sur des lignes directrices.

SOURCE Directeur des poursuites criminelles et pénales

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